Circuits courts : la notion de valeur

Circuits courts : la notion de valeur

personne qui achète fruits et legumes

Si la pandémie remet en question l’ensemble du fonctionnement de nos sociétés, elle remet aussi en question les modèles alimentaires. La proximité rassure, la relation directe avec les producteurs authentifie l’origine des aliments et renforce l’intérêt des productions locales alimentaires.
Recette pour un circuit court réussi.

Créer de la valeur en étoffant son offre

La création de valeur est l’objectif majeur de tout entrepreneur/producteur. Elle est nécessaire pour assurer la pérennité de l’entreprise : cette valeur sera alors économique. Mais elle sera aussi une valeur immatérielle en y intégrant des dimensions éthiques, de confiance, de qualités reconnues par le client, de sécurité, d’image, de services associés…. Bref, toute une somme d’ingrédients qui vont ancrer l’offre du producteur dans une relation étroite avec son client. Ces valeurs économiques ou immatérielles seront concrétisées par un prix ajusté, c’est-à-dire intégrant l’ensemble des caractéristiques du produit ou du service.

Les producteurs en circuit court sont, plus que d’autres entrepreneurs, impliqués dans une offre intégrant ces deux catégories de valeurs. La question est qu’ils ont des difficultés à les concrétiser en prix unitaires, à faire évoluer leur offre pour créer plus de valeur immatérielle, et enfin à consacrer le temps nécessaire à le faire savoir.

Le prix unitaire conditionne la valeur économique, mais l’exercice est délicat. La fixation du (bon) prix est déterminante dans la création ou non de valeur en vente directe.

Au-delà du coût de revient, le producteur fermier doit intégrer dans son prix des services, une qualité spécifique, une différenciation, du plaisir, de la relation, du goût, de l’assurance, de l’information, bref, toute une série de valeurs qui vont compléter la valeur d’usage initiale du produit alimentaire, c’est-à-dire remplir son estomac. Et c’est bien toute la difficulté à laquelle sont confrontés les producteurs : évaluer, quantifier et afficher ces valeurs immatérielles qui vont s’ajouter au prix de revient et sans rogner la marge bénéficiaire.
L’exercice est rendu complexe par des pressions externes comme la concurrence, le pouvoir d’achat ou l’acceptabilité du prix par le client. La complexité est aussi dans la décomposition du prix, qui peut faire émerger une dérive dans les coûts de production, révélant souvent une faible productivité du travail. Les temps de travaux sont systématiquement sous-estimés, notamment ceux de la famille ou des différents « coups de main » ponctuels.

En calculant précisément leur prix de revient, bien des producteurs s’aperçoivent que leurs coûts unitaires sont déjà très élevés, avant même d’y inclure les valeurs immatérielles. C’est le cas en viande bovine. La valorisation fermière fait découvrir aux éleveurs la difficulté de valoriser correctement l’ensemble de la carcasse d’un bovin.

En sus des coûts de revient et des prestations immatérielles des produits vendus, il faut ajouter un troisième paramètre, la capacité contributive du client, c’est-à-dire son acceptation du prix affiché. Ce prix que l’on nomme «psychologique» représente ce que le client est prêt à débourser. Au-dessus d’un plafond, il renonce à acheter, au-dessous d’un plancher, il doute de la qualité du produit. Le consommateur arbitre en continu autour de ce rapport qualité-prix propre au produit.

Pourtant, le prix est et doit rester un facteur secondaire de choix dans les productions fermières.

Toute la stratégie du producteur fermier est de déplacer la variable prix vers la variable valeur. Cette marge « pour services complémentaires » peut s’évaluer à 30 % du coût de revient.

Valeurs immatérielles et valeurs fonctionnelles

Le prix de vente doit tenir compte aussi et surtout des valeurs immatérielles incorporées au produit, apportées et vendues au client : le plaisir, la proximité, la qualité gustative, la traçabilité, la relation au producteur, sa disponibilité, sa notoriété…

Elles différencient les producteurs fermiers des produits alimentaires standards proposés par l’industrie agroalimentaire. Pourtant, nombre d’agriculteurs ajustent leurs prix de vente sur les prix observés chez les distributeurs. Un non-sens économique, et surtout une négation du service et des valeurs qu’ils apportent à leurs produits.

Valoriser une production fermière, ce n’est pas simplement valoriser un produit alimentaire basique, c’est valoriser des prestations immatérielles : un métier, une origine, des garanties sanitaires. On peut tout à fait comparer les produits fermiers aux produits-valeurs proposés par l’industrie du luxe ou par des marques fortement « marketées ».

La valeur immatérielle est l’essence même de l’existence du producteur fermier : pas de valeur qualitative, pas de produit ! Son objectif est de faire du produit fermier un produit unique. Toute cette dimension immatérielle se concrétisera par les actions de communication et de promotion qui seront orchestrées par le producteur. D’où l’importance des arbitrages à faire dans les différentes tâches que doit assumer un agriculteur en circuit court. Impossible de tout faire et surtout de tout faire bien. Il faut déléguer et se concentrer sur les missions incontournables. Les actions de communication et de relation aux clients, l’originalité des recettes, la mise en scène des produits, sont les ingrédients des prestations immatérielles. Elles doivent être obligatoirement orchestrées par le producteur.

decomposition du prix d'un produit fermier

Source : Jacques MATHE, novembre 2021

>> revue française de comptabilité